Je pense qu’il n’est aucune vie, si dégradée, si détériorée, si abaissée, si appauvrie soit-elle, qui ne mérite le respect et ne vaille qu’on la défende avec zèle. J’ai la faiblesse de penser que c’est l’honneur d’une société que d’assumer, que de vouloir ce luxe pesant que représente pour elle la charge des incurables, des inutiles, des incapables. Et je mesurerais presque son degré de civilisation à la quantité de peine et de vigilance qu’elle s’impose par respect pour la vie…
Quand l’habitude serait prise d’éliminer les monstres, de moindres tares feraient figures de monstruosité. De la suppression de l’horrible à celle de l’indésirable, il n’y a qu’un pas…
Cette société nettoyée et assainie, cette société où la pitié n’aurait plus d’emploi, cette société sans déchets, sans bavures, où les normaux et les forts bénéficieraient de toutes les ressources qu’absorbent jusqu’ici les anormaux et les faibles, cette société qui renouerait avec Sparte et ravirait les disciples de Nietzsche, je ne suis pas sûr qu’elle mériterait encore d’être appelée une société humaine.